Commémorations des 130 ans de l’ouverture du Viaduc de Garabit

L’Association des Descendants de Gustave Eiffel avait effectué en 2003 (lien vers la news ici ) une merveilleuse visite du Viaduc de Garabit, et avait été notamment exceptionnellement autorisée à pénétrer à l’intérieur de la structure de l’arche pour franchir la Truyère.

Notre retour en 2018, pour participer aux commémorations des 130 ans de l’ouverture de la ligne Paris-Bézier et fêter le classement du célèbre viaduc aux monuments historiques, ne nous a pas déçus. Ce fut un weekend chargé et rempli de moments inoubliables !

Pour rappel, le Viaduc de Garabit est une des plus célèbres constructions de Gustave Eiffel après la Tour, et celle sur la base de laquelle la construction de cette dernière fut rendu possible. 3326 tonnes, 564 m de longueur dont 448 pour la partie métallique, une arche centrale enjambant la vallée de 163 mètres de largeur avec une hauteur de flèche moyenne de 65 mètres, un tablier surplombant la Truyère du haut de ses 122 mètres, le viaduc était un véritable tour de force pour l’époque dont on continue aujourd’hui encore à admirer la ligne parfaite, et la puissance. Achevé en 4 années, de 1880 à 1884, il fallu attendre 1888 pour que l’ouvrage soit inauguré, en présence de Gustave Eiffel, le temps pour le reste de la ligne d’être achevé.

Organisée par nos amis de l’Association des Amis de Garabit, et notamment par Hélène Bonabal et Patricia Rochés, que nous remercions ici, les festivités publiques se sont succédées sans interruption tout au long de la journée du 30 septembre. Au petit matin les choses semblait pourtant mal parti : une brume épaisse noyait la vallée et l’ont pouvait entendre un long roulement de tonnerre dans le lointain.

Fort heureusement, le soleil dissipait rapidement la couche de brume et plus aucun contre temps ne fut à signaler par la suite.

Une foule très nombreuse d’habitants des communes avoisinantes et de passionnés de ponts s’était réuni, pour une grande part d’entre eux en costumes d’époque, devant l’arrêt de train de Garabit. Nos cousins Delphine Berthelot-Eiffel et Savin Yeatman-Eiffel avaient eux aussi joué le jeu de la reconstitution. Savin avait même laissé pousser sa barbe pour ressembler un peu plus à son ancêtre. Leur arrivée, en voiture ancienne (une Brazier) fut très remarquée, même si le véhicule était un peu en avance pour 1888 (!)

Savin Yeatman-Eiffel et Delphine Berthelot-Eiffel arrivant à Garabit…
…en costumes d’époque!

Ils furent aussitôt accueillis par Bruno Paran, le maire de Val d’Arcomie, et par Martine Guibert, la vice-présidente déléguée aux transports de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Jean-claude Plassard, arrière petit neveux de Léon Boyer, l’ingénieur à l’origine de la décision de franchir la Truyère par un grand viaduc, était également présent.

De gauche à droite: Bruno Paran, maire de Val d’Arcomie, Hélène Bonabal de l’AMIGA, Martine Guibert, vice-présidente de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, Mr. le ministre Jacques Godfrain, Savin Yeatman-Eiffel et ses enfants, Delphine Berthelot-Eiffel, et Jean-claude Plassard, arrière petit neveux de Léon Boyer.

Après une première série d’intervention des élus, ainsi qu’une présentation historique du Viaduc par Patricia Rochès, Savin Yeatman-Eiffel donnait la réplique à plusieurs acteurs en costumes pour une très véridique reconstitution des cérémonies de l’inauguration de la ligne en 1888 dans laquelle il interprétait Gustave. La copie de son discours, qui rappelle les grandes étapes de la construction du viaduc, est reproduite à la fin de cet article.

La reconstitution fut suivie d’un déjeuner 1900 de haute volée, organisée par les Toques d’Auvergne. A la suite de celui-ci, les officiels furent invités à monter à bord d’un train commémoratif, spécialement affrété pour l’occasion par SNCF-réseau, pour franchir le viaduc.

La vue saisissante depuis le train

Après un nouveau discours touchant des descendants Eiffel et Boyer à la gare de Saint-Flour, tout le monde était de retour à la gare de Garabit pour la suite du programme.

Il s’agissait cette fois de célébrer le récent classement aux monuments historiques du viaduc. Les deux anciens ministres en charge du dossier avec l’association des Viaducs de l’Extrême, Messieurs Jacques Godfrain et Jean-Claude Gayssot, prirent tour à tour la parole, suivis par les maires des communes avoisinantes, notamment Mr.  Bruno Paran, le maire de Val d’Arcomie et Mr. Gérard Delpy, maire de Ruynes-en-Mageride, ainsi que Mr. Jean-Jacques Monloubou, président du Syndicat Mixte de Garabit-Grandvalles, et les représentants des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie : Martine Guilbert, pour la première, et Jean-Luc Gibelin, vice-président en charge des mobilités et infrastructures transports, pour la seconde. Tous ont exprimé avec force leur attachement au viaduc de Garabit et à la pérennité de la ligne dont il est le point d’orgue – ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. Toujours en activité, cette ligne de chemin de fer de désormais 130 ans, reste un lien indispensable entre les habitants et les entreprises des deux côtés de la vallée de la Truyère.

Crédit photo: La Montagne

De gauche à droite: Patricia Rochés de l’AMIGA, Bruno Paran, maire de Val d’Arcomie, Delphine Berthelot-Eiffel, Mr. Jean-Jacques Monloubou, président du Syndicat Mixte de Garabit-Grandvalles, Savin Yeatman-Eiffel,  Jean-Luc Gibelin, vice-président de l’Occitanie, Mr. Le Sous-Préfet Serge Delrieu, et Mr. Le Ministre Jean-Claude Gayssot.

La plaque des monuments historiques

Les festivités se sont encore poursuivies jusqu’à tard dans la journée avec des danses folkloriques, un concours de costumes et un concours de peintures du Viaduc.

Merci à tous les participants à cette belle commémoration –  habitants, associations et élus – et à l’attachement sincère au majestueux Viaduc de Garabit dont ils ont fait preuve pendant tout le weekend !

 

Copie du discours prononcé par Savin Yeatman-Eiffel (interprétant Gustave Eiffel) lors de la reconstitution de l’inauguration de la ligne Paris-Bézier de 1888 :

« Monsieur le Ministre, monsieur le Préfet, monsieur le Maire, mesdames, messieurs, 

C’est avec émotion, et une certaine fierté, je dois l’avouer, que je prends à mon tour la parole.

L’ouvrage devant nous, qui franchit aujourd’hui si majestueusement la Truyère, est le fruit d’un travail acharné de quatre années, terminé fin 1884, et nous attendions avec impatience que s’achèvent enfin les test de résistance, et l’ouverture complète de la ligne que nous célébrons aujourd’hui.

La masse et les dimensions du Viaduc de Garabit, permettez moi de le rappeler (les ingénieurs sont friands de chiffres), sont considérables : 3326 tonnes, 564 m de longueur dont 448 pour la partie métallique, une arche centrale enjambant la vallée de 163 mètres de largeur avec une hauteur de flèche moyenne de 65 mètres. La hauteur du tablier au dessus de la Truyère est de 122 mètres – soit le double de la hauteur du pont Maria Pia à Porto, qui fit pourtant ma réputation dans toute l’Europe et au-delà.  Imaginez bien, je vous prie, que l’on pourrait poser au fond de la vallée les tours de Notre-Dame, mettre sur ces tours la colonne Vendôme, et le haut de la colonne serait encore à quelques distances du plancher sur lequel sont posés les rails !

Ces caractéristiques considérables ont fait du viaduc de Garabit l’ouvrage le plus important jamais construit en France – et peut être même dans le monde.

Les défis que nous avons du affronter étaient eux même à la hauteur de cette gigantesque entreprise et lorsque le regretté Léon Boyer vint me parler la première fois de son projet dans nos ateliers de Levallois Perret, je dois avouer avoir hésité un court instant à me lancer dans l’aventure.

C’est qu’il a fallu, tout d’abord, acheminer jusqu’ici, depuis les Établissements Eiffel de Levallois, toutes les pièces qui y furent dessinées et usinées à l’avance. Elles le furent par train d’abord puis, sur près de 30 km, à bord de gros chariot tirés par huit chevaux. Il fallut encore embaucher et installer ici même, à 800 mètre d’altitude et à plus de 5 km du bourg le plus proche, les quatre cents employés nécessaire à la construction des fondations et au montage du Viaduc. Pour subvenir à leurs besoins pendant quatre ans, je fis construire les logements et les cantines nécessaires – et même une école pour les enfants. Je me suis même arrangé avec le service des postes pour que nous puissions recevoir et envoyer du courrier depuis la montagne. Une vraie petite ville fonctionnant quasiment en autarcie.

Au niveau de la conception du pont, il fallait s’assurer qu’il puisse résister aux bourrasques de vent qui sont fréquentes et particulièrement violentes dans la vallée. Nous avons inventés pour cela, mes ingénieurs et moi-même, un nouveau système d’arbalétrier à trois faces, dont les entretoises diagonales et horizontales forment un tout extrêmement rigide tout en laissant le moins possible la prise au vent. Nous avons également donné à l’arche centrale une forme parabolique plutôt que circulaire. La forme du croisant est en effet particulièrement favorable pour la résistance à des efforts dissymétriques. C’est la raison enfin pour laquelle nous avons, contrairement aux usages habituels, pris le soin de placer la voie du train en position intermédiaire, à mi-hauteur du tablier. De cette manière, les poutres du pont forment de part et d’autre une solide muraille capable de maintenir les véhicules dans le cas où ils sortiraient de la voie, comme ce fut malheureusement et tragiquement le cas chez nos amis Ecossais, il y a tout juste 9 ans. J’ai d’ailleurs déposé un brevet pour ce nouveau procédé.

Pour le montage de l’arche centrale au dessus de la Truyère, j’ai eu recours aux méthodes que j’avais mises en place avec succès à Porto, sur le Pont Maria Pia. Chacun des demi-arcs a été fixé aux extrémités du tablier par des câbles en acier, et toutes les pièces y ont été rattachées dans l’espace les unes après les autres par des montages en porte-à-faux successifs. Ces opérations ont nécessité une très grande précision tant dans la fabrication, la mise en place, que les calculs. Il fallait en effet que les trous de jonction des deux moitiés de l’arc, parties à 160 mètre de distance, vinssent exactement se correspondre au final. Nous y sommes arrivés avec une précision presque mathématique d’à peine quelques centimètres.

Le lançage du tablier au dessus des piles puis pour finir au-dessus de l’arche, n’était pas l’opération la moins risquée.  Perchés en haut de cet immense tablier de 285 mètres, pesant à lui seul 850.000 tones, soixante de nos hommes l’ont fait progresser très lentement au dessus du vide – à la force de leurs bras. A l’aide de grands leviers de bois de 7 mètres de longs, ils ont poussé cette énorme masse au rythme d’une trompe, chaque grand coup de levier faisant avancer l’ensemble, petit à petit, d’une dizaine de centimètres à chaque effort.

Je tiens à remercier ici à nouveau le courage et le professionnalisme de ces hommes. Je me suis toujours attaché à prendre grand soin d’eux et ils me l’ont bien rendu. Merci s’il vous plait de les applaudir !

Je voudrais également saluer la mémoire du regretté Léon Boyer, qui su convaincre ses supérieurs de l’opportunité de ce grand viaduc, faisant économiser au réseau ferré des kilomètres de ligne inutiles et des millions de francs or de budget, et qui me fit l’honneur de me confier la tache de le construire avec lui. Cet ouvrage est aussi le sien. Merci je vous en prie de l’applaudir lui aussi chaleureusement ! 

Pour finir, je tiens à remercier l’équipe d’encadrement des Etablissements Eiffel qui a été à mes côtés tout au long du chantier, et tout particulièrement Emile Nougier, mon directeur des études techniques et des montages, et Jean Compagnon, mon chef de chantier, qui m’accompagnaient déjà à l’époque tous les deux depuis plusieurs années ; ainsi que le jeune Maurice Koechlin, que j’ai engagé à seulement 24 ans pour être mon nouveau chef du bureau d’étude sur la construction du Viaduc.

Comme vous le savez tous, nous sommes désormais lancés tous ensemble dans un défi plus fou encore que celui que nous avons accomplis ici : la Tour de 300 mètres, qui sera la symbole de l’Exposition Universelle de 1889, et le monument le plus haut jamais édifié par l’homme.   

A l’heure où je vous parle, nous sommes arrivés à mi-hauteur. La Tour  va bientôt atteindre les 150 mètres et j’ai bon espoir que nous parviendrons à la terminer dans les temps. Ce qui est sur, c’est que cette formidable Tour n’aurait jamais vu le jour sans le savoir faire et les avancées techniques que nous avons acquis ici, sur le Viaduc de Garabit. Ma tour en sera je l’espère, la digne continuatrice.

Merci à tous. Vive Garabit, et vive la France ! »

Partager :

Nos autres articles