LE PONT FERROVIAIRE DE BORDEAUX – son histoire, les premières actions de l’ADGE pour le préserver

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Le pont ferroviaire de Bordeaux (également appelé Passerelle Saint-Jean), premier ouvrage auquel participa le jeune Gustave Eiffel,  fut l’un des premiers grands ponts métalliques de l’histoire de la construction ferroviaire française, et reste un témoignage essentiel de l’architecture industrielle du Second Empire par ses dimensions et par ses techniques novatrices de construction, est aujourd’hui menacé de destruction par le Réseau Ferré de France. La SNCF envisage son remplacement en aval, par une ouvrage à quatre voies destiné à accueillir le TGV.

Premières actions de l’ADGE

Philippe Serey-Eiffel qui suit pour notre Association ce dossier qui nous préoccupe, a préparé début avril 2001 une série d’entretiens  avec les décideurs régionaux, afin de les contraindre à rouvrir le dossier ;
Nous avons ainsi rencontré les représentants , des Monuments Historiques, du Réseau Ferré de France, de la Mairie de Bordeaux et de la Presse Régionale.
Monsieur Rieux, responsable des Monuments Historiques de la Région Aquitaine nous a promis d’écrire au Réseau Ferré de France pour leur demander de réétudier un projet alternatif comprenant la réhabilitation de la Passerelle Saint Jean avec la création d’un nouveau pont de deux voies pour doubler la capacité du pont actuel et  satisfaire l’accroissement du trafic.
Monsieur Rieux nous a informé qu’en 1998, la Commission Régionale de Protection Architecturale Historique et Archéologique avait demeandé le classement de trois ponts Eiffel dans la région : Saint André de Cubzac, pont sur l’Adour, pont sur la Dordogne.
Nous avons aussi rencontré Monsieur Hosteins, le chef du Cabinet de Alain Juppé, mais cet interlocuteur nous a semblé peu enclin à défendre notre projet.
Nous avons été reçu par Monsieur Prat, responsable  régional du Réseau Ferré de France et par son collaborateur Bruno Flourins, chef du projet suppression du bouchon ferroviaire de Bordeaux, qui nous ont fait visiter le ponr par la nacelle de service.
Dès l’origine une nacelle de service avait été installée sous le tablier du pont pour assurer son entretien et coulissait  entre les deux rives à travers les piliers avec des embouts télescopiques. Elle a été remplacée en 1950 par 7 nacelles  faisant chacune la navette entre deux piles.
On y accède par une trappe  s’ouvrant dans le ballast et par une échelle verticale.
Cette visite sera inoubliable pour Philippe Serey-Eiffel comme pour moi. Se déplacer au dessus de la Garonne tourbillonnante dans une nacelle suspendue sous le pont, se déplaçant au moyen de deux chaînes reliées à deux roues crantées placées aux extrémités est un spectacle étonnant, rythmé par le bruit assourdissant du passage au dessus de nos têtes des convois ferroviaires toutes les cinq minutes.
Nous avons ainsi appris que le pont était encore en bon état ; La principale faiblesse concerne les longerons supportant les rails et reliant les pièces de pont et les entretoises ; Sur les 734 longerons d’origine, 314 ont déjà été changés en 1980. Les autres devront être changés si le pont est maintenu en activité mais leur remplacement est difficile pendant le passage des trains.
Les rivets sont désormais remplacés par des boulons ;
Les campagnes de peinture se déroulent environ tous les 20 ans.
Monsieur Prat nous a informé que l’avant projet du nouveau pont  à quatre voies devait être présenté en été 2002, les travaux devant se dérouler de 2004 à fin 2006.
Devant notre insistance il nous a promis de rouvrir et d’étudier un projet alternatif combinant réhabilitation de la Passerelle Saint Jean et création d’un nouveau pont parallèle de deux voies seulement. La réhabilitation se déroulant une fois basculé le trafic sur le nouveau pont.
J’ai enfin rencontré le journaliste de Sud Ouest Claude Garnier qui m’ait été recommandé par Raymond Larnaudie, afin d’obtenir la parution d’un article sensibilisant les bordelais sur l’importance de leur patrimoine historique ferroviaire et pour appuyer nos démarches auprès des autorités.. Nous allons effectuer la même démarche auprès du Monde.
Le combat n’est pas gagné, mais nous avons le sentiment, Philippe Serey-Eiffel et moi-même que nous avons obligé nos interlocuteurs de rouvrir le dossier et d’étudier sérieusement la réhabilitation de la Passerelle Saint Jean après création d’un pont parallèle de deux voies simplement.

Historique de la Passerelle Saint Jean

Le pont ferroviaire de Bordeaux sur la Garonne a réuni pendant le Second Empire le réseau ferroviaire de la Compagnie d’Orléans dont le terminus était situé sur la rive droite de la Garonne avec celui de la Compagnie du Midi ( Bordeaux-Sète et Bordeaux-Bayonne ).
C’est l’ingénieur en chef de la Compagnie du Midi Stanislas de la Roche Tanlay aidé de son collaborateur Paul Regnauld  sous les ordres de monsieur Bommart, Ingénieur en Chef  des Ponts et Chaussées, qui conçoit le projet. C’est la Compagnie Belge de Matériels  de Fer dirigée par Pauwels qui remporte le marché le 4 janvier 1858 .
Gustave Eiffel est chef d’étude de la succursale de Clichy. Il est chargé en février 1858 de la mise au point des plans d’exécution et des commandes de fournitures avant de partir s’installer en août 1858 à Bordeaux pour diriger les travaux. Gustave Eiffel à l’âge de 26 ans dirige son premier grand chantier et l’un des plus important de France.
Le pont de Bordeaux est caractéristique de cette génération d’ouvrages d’art qui associent un décor emblématique à une structure purement fonctionnelle. Le style architectural est ici le néogothique, qui orne les chapiteaux des piles et ornait le monumental porche d’entrée du pont qui a été malheureusement supprimé depuis.
Le matériau utilisé est le fer puddlé qui autorise des portées beaucoup plus importantes que la maçonnerie ou la fonte sans nécessité de cintres à la construction.
Selon l’historien des ouvrages métalliques Jean Mesqui: «  l’une des qualités les plus intéressantes du fer était sa résistance à la traction ; cette caractéristique rendait possible la réalisation de ponts à poutres, structure qui n’était concevable auparavant qu’en charpente en bois. Les ponts à poutres étaient plus faciles à construire que les ponts en arc, n’exerçaient pas de poussée horizontale sur leurs appuis, dégageaient mieux l’espace franchi. En France les premiers ponts de chemin de fer à poutres furent construits à partir de 1855 : ponts de Langon sur la Garonne, de Moissac sur le Tarn, d’Aiguillon sur le Lot. Pour ces premières réalisations on adopta des poutres latérales à âme pleine qui avaient l’inconvénient  de donner prise au vent et de renvoyer le bruit des essieux. Elles furent bientôt abandonnées au profit de poutres dont l’âme étaient constituées de barres de triangulation. Le pont de Bordeaux est le plus ancien et le plus important pont à poutres existant en France. D’une longueur de 504 mètres, il a cinq travées centrales de 77 mètres et deux travées d’extrémité de 57 mètres »

Techniquement la construction du pont  de Bordeaux a présenté deux difficultés:

– Il s’agissait tout d’abord de fonder des piles dans une rivière large, profonde de 7 à 13 mètres, et tumultueuse (débit de 2 à 3 mètres/seconde). La méthode déjà utilisée au pont de Neuville sur Sarthe en 1855, consistait à assembler de larges tubes en fonte de 3,60 mètres de diamètre composés d’anneaux boulonnés, à l’intérieur desquels on maintient pendant la mise en place, la pression d’air suffisante pour refouler les infiltrations d’eau et permettre ainsi aux ouvriers de creuser à pied sec.
La technique jusqu’alors était de placer une écluse à air appelée chambre  d’équilibre à la partie supérieure du tube surmontée d’un contrepoids qui favorisait l’enfoncement. Mais l’adjonction de nouveaux tronçons de tubes nécessitait le démontage fréquent de l’écluse et du contrepoids.
Pour éviter ces inconvénients, Gustave Eiffel a amélioré pour le chantier de Bordeaux la technique, en ajustant dans la colonne de fonte deux diaphragmes en tôle qui servaient de portes d’entrée et de sorties dans l’écluse. Par ce moyen la chambre d’équilibre pouvait , une fois placée ne plus être démontée pour l’adjonction des nouveaux anneaux de fonte. Il en était de même pour le contrepoids qu’il a remplacé par deux presses hydrauliques reliées à l’échafaudage ce qui permettait d’ajuster la pression à l’avancement des travaux et à l’état du sous-sol.
Pour l’immersion des premiers cylindres qui devaient descendre tout boulonnés sur une hauteur telle que la partie supérieure émergeât hors de l’eau, au moment où la partie inférieure toucherait le fond  on ne pouvait songer à employer des treuils à main, car cette hauteur atteignait 10 mètres, et le poids de la colonne à descendre d’un seul coup était de 40 tonnes, Eiffel imagine alors de transformer la colonne en un bateau flottant qu’il échoue progressivement à marée basse. Le  fond du cylindre étant calfaté pour le rendre étanche. Eiffel faisait installé ensuite  les plateaux de la chambre d’équilibre puis mettait le tube en communication avec la pompe à air, ce qui permettait de démonter le plancher du fond. Le travail de déblai pouvait commencé.
Après avoir atteint le bon sol à prés de 25 mètres sous le niveau du fleuve les tubes ont été remplis de béton.
Eiffel grâce à Bordeaux maîtrisera en les améliorant la technique des fondations à l’air comprimé et  en deviendra le véritable spécialiste.

– La deuxième difficulté de la construction du pont de Bordeaux fut d’établir un tablier de fer de plus de 500 mètres de longueur. Les deux poutres latérales continues ont leur âme  constituée de croix de Saint André entre montants verticaux, sauf au dessus des appuis où le principe de la paroi pleine a été conservé. Les 6,40 mètres de hauteur ont été déterminées par la hauteur des locomotives, car la structure forme avec le tablier et le contreventement supérieur un  véritable tube à l’intérieur duquel passent les voies. La mise en place de ces poutres continues a été faite à l’aide d’un pont de service en bois de 1800 m³ servant d’échafaudage provisoire. L’ensemble des pièces usinées et  montées dans l’atelier construit sur la rive droite ont été transportées  en tronçons de 30 à 35 mètres par roulage.

Eiffel termine le pont en juillet 1860, après s’être imposé comme le véritable patron du chantier, et comme organisateur émérite et meneur d’hommes n’hésitant pas à sauter dans la Garonne pour sauver de la noyade un de ses ouvriers tomber à l’eau.

Article de Sylvain Yeatman-Eiffel

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