Michel Ceillier, cousin de la branche Yeatman-Eiffel, est un ancien pilote de chasse et l’auteur dans la Revue des anciens élèves de l’École de l’air d’un excellent et très complet article sur la relation entretenue par la Tour avec l’aéronautique. Il nous a aimablement autorisé à reproduire ce dernier sur notre site. Vous trouverez donc ci-dessous un très complet rappel des recherches scientifiques de Gustave Eiffel sur l’aérodynamisme; des exploits aériens liés à la Tour – ceux d’Alberto Santos-Dumont, du comte de Lambert, de Lindberg, comme ceux plus tragiques de Reichelt et Léon Collot ; et pour finir de l’utilisation de la Tour comme centre de télégraphie par l’armée.
Bonne lecture !
MONSIEUR EIFFEL, LA TOUR ET L’AÉRONAUTIQUE
L’homme traditionnel, celui qui n’a pas la chance de fréquenter les azurs, les pics ou les profondeurs, ne vit pratiquement que dans deux dimensions. Limité dans son déplacement vertical à sa propre hauteur, par la faute de la nécessaire mais contraignante pesanteur terrestre, il n’a pu agrandir son domaine vers le haut que par les constructions savantes qui, des pyramides aux tours modernes en passant par les cathédrales, ont jalonné son histoire. Aussi n’est-il pas étonnant que la Tour Eiffel, en élevant d’un seul coup la 3e dimension de Paris à 300 mètres de hauteur, ait été l’objet depuis un siècle d’une admiration constante, traduite avec esprit par cette petite grisette parisienne qui écrivait sur le livre d’or ouvert au public pour l’inauguration : « Plus je considère la Tour Eiffel, plus je reconnais l’inutilité décourageante des talons hauts ! » Mais les aviateurs et tous ceux qui touchent professionnellement au domaine de l’air n’allaient-ils pas bouder, voire mépriser, cet orgueilleux édifice qui prétend, du haut de ses modestes mille pieds, s’immiscer dans ce qu’ils considèrent comme leur domaine réservé ? Eh bien non ! Sans doute conscients de la prouesse technique et sensibles à l’évidente parenté entre la structure ultralégère de la Tour et celle des machines volantes, les hommes de l’air l’ont toujours considérée avec respect et amitié, n’hésitant pas à la mêler à leurs rêves, à leurs projets et à leurs exploits. Ce sont quelques-uns de ces événements aéronautiques qui ont marqué le siècle d’existence de la « bergère des nuages », comme elle a été joliment surnommée, que nous voudrions évoquer dans ces lignes. Mais commençons, comme il se doit, par rendre hommage à celui qui n’a pas été seulement le père de la Tour, mais aussi un chercheur particulièrement passionné et fécond dans le domaine de l’air.
Gustave Eiffel, pionnier de l’aérodynamique.
Bien qu’il n’ait pas été le véritable architecte de sa Tour, imaginée et dessinée par ses deux collaborateurs Émile Nouguier et Maurice Koechlin, Gustave Eiffel, entrepreneur génial, n’en était pas moins ingénieur dans l’âme. A ce titre il avait été constamment confronté, dans ses constructions, à un ennemi redoutable : le vent. Qu’il s’agisse de la statue de la Liberté, soumise aux tempêtes de la baie d’Hudson (si la « peau » de la statue est bien l’oeuvre du sculpteur Bartholdi, c’est Eiffel qui en conçut et réalisa le « squelette »), du viaduc de Garabit culminant à 122 mètres au-dessus d’une profonde vallée faisant « effet de tuyère », ou de la Tour de Paris, exposée à des rafales pouvant atteindre 200 kilomètres à l’heure, les énormes efforts latéraux subis par ces ouvrages exigeaient d’être pris en compte très sérieusement dans le calcul et la réalisation de leurs structures.
Or les coefficients de résistance des corps dans les fluides en fonction de leur forme (on dirait aujourd’hui le « Cx ») ne sont évalués que d’une manière tout à fait empirique et imprécise en cette fin du 19e siècle. Eiffel se met donc méthodiquement au travail. Il s’intéresse tout d’abord à la météorologie afin de connaître les conditions extrêmes susceptibles d’être rencontrées par les ouvrages d’art. Mais loin de se limiter au vent, il publie annuellement, à partir de 1906, un gros volume de statistiques et cartes météorologiques de la France établies à partir des observations d’une vingtaine de stations dont celle, bien sûr, qu’il avait fait installer au sommet de la Tour dès son achèvement.
Mais c’est surtout le domaine de l’aérodynamique qui occupe ses pensées scientifiques dans les vingt dernières années de sa vie. En 1902, en effet, à plus de 70 ans, et jusqu’à sa mort à 91 ans en 1923, Eiffel entreprend une longue série de travaux admirables dans cette science dont il établit véritablement les bases modernes qui permettront les progrès fulgurants de l’aéronautique. Cherchant tout d’abord uniquement à mesurer le fameux Cx des poutrelles et pièces diverses utilisées pour ses ouvrages, il en vient bien vite, par pure curiosité intellectuelle, à l’étude de toutes les formes susceptibles d’être soumises au déplacement de l’air : simples plaques d’abord, mais bientôt profils d’ailes, hélices et maquettes d’aéroplanes entiers, sans oublier non plus les édifices et les carrosseries automobiles.
Pour premier laboratoire, c’est encore la Tour qu’il utilise dès 1902 : un câble tendu verticalement sous le second étage lui permet en effet de faire chuter des surfaces diverses d’une hauteur de 110 mètres et de mesurer leur coefficient de traînée. Mais la durée limitée des expériences, les effets parasites des vents latéraux et du frottement des guides sur le câble, l’impossibilité de passer par ce moyen aux mesures plus complexes d’incidence et de portance, conduisent l’ingénieur à construire en 1909, au pied de la Tour, un véritable laboratoire. Celui-ci se caractérise essentiellement par l’installation d’une soufflerie, appareil dont Eiffel n’est pas l’inventeur mais auquel il apporta des perfectionnements décisifs. En 1912, chassé du Champ-de-Mars par la construction de nouveaux ensembles d’habitations, il acquiert un terrain à Auteuil sur lequel il construit son second laboratoire, lequel existe et fonctionne encore aujourd’hui. Avec une nouvelle soufflerie, dont la veine d’expérience passe d’un diamètre de 1,5 à 2 mètres et la vitesse de 18 à 32 mètres par seconde, le domaine des recherches s’agrandit. Eiffel peut ainsi, en particulier, étudier et mettre au point toute une série de profils qui porteront son nom et travailler avec les plus grands constructeurs aéronautiques de l’époque qui lui confieront de nombreuses études aérodynamiques d’avions, dont celles des célèbres Spad et Bréguet de la Première Guerre mondiale.
La considérable expérience ainsi acquise fera naturellement l’objet de nombreuses publications et, de 1910 à 1920, il publiera plusieurs gros ouvrages dont le plus célèbre, intitulé« la résistance de l’air et l’aviation », régulièrement remis à jour, rassemblera la somme des connaissances de l’époque dans cette jeune science de l’aérodynamique.
Mais ce bref survol de la carrière aéronautique d’Eiffel ne saurait passer sous silence ce qui constitue en quelque sorte l’aboutissement logique de ses expériences : la conception et la construction d’un avion. C’est en mai 1917, en effet, qu’il dépose un brevet d’avion de chasse, fin monoplan à aile basse qui sera dénommé le« L.E. » (pour « Laboratoire Eiffel »). Cet avion sera effectivement construit en deux exemplaires prototypes par les ateliers de Louis Bréguet, l’un pour les statiques et l’autre, équipé d’un moteur de 200 CV, pour les essais en vol.

Le 27 mars 1918, le pilote chargé du premier vol, hélas très mal choisi car totalement inexpérimenté dans le domaine des essais, décolle de Villacoublay, effectue une belle ligne droite à 50 mètres d’altitude puis, sans doute surpris par la finesse même de l’avion, pique brusquement vers le sol et s’écrase.
Cette malheureuse expérience n’aura pas de suite, Bréguet ayant d’autres projets en tête et Eiffel se sentant sans doute trop âgé pour la poursuivre. Mais on peut raisonnablement penser que s’il avait été plus jeune, Eiffel se serait probablement engagé dans la construction aéronautique. Il suffit pour s’en persuader de recenser les nombreux et évidents points communs entre les techniques utilisées pour la Tour et celles des avions de l’entre-deux-guerres : la construction tout métal ; l’emploi exclusif du rivetage (2 millions et demi de rivets pour la Tour !) ; la conception des structures, très voisines dans leur légèreté respective ; la préfabrication des pièces dans un lieu différent du montage, avec une précision de leur calcul au dixième de millimètre ; le « management » enfin, stupéfiant par l’organisation du travail, le respect des délais et des coûts et le souci constant de la sécurité des ouvriers dont aucun, malgré les conditions de montage que l’on imagine, ne fut tué ou gravement blessé dans l’aventure.
Quoi qu’il en soit, on ne peut que rester pantois d’admiration devant le génie et l’énergie de cet homme, qui, pendant tout ce grand âge où beaucoup perdent leur enthousiasme et leurs capacités intellectuelles, sut devenir un savant remarquable et le véritable fondateur de l’aérodynamique expérimentale.

Les premiers survols
Il était cependant inéluctable que les hommes volants s’intéressent un jour à ce grandiose et idéal point tournant que constitue le « pylône de 300 mètres » comme on l’appelait à l’époque. Le survol de Paris et de son plus illustre monument représentait en outre une étape hautement significative de la fulgurante conquête de l’air et devait assurer à ses premiers acteurs une célébrité toute particulière.
Il est donc tout à fait satisfaisant que les premiers courtisans aériens de la gracieuse « dame de fer » aient été deux aristocrates élégants et raffinés : Santos-Dumont et le comte de Lambert.
Alberto Santos-Dumont, ce richissime et populaire brésilien, aussi frêle que ses machines volantes, avait flirté avec la Tour dès le 13 novembre 1899 à bord de son dirigeable « n° 3 » de 500 mètres cubes et de… 3,5 CV. Mais c’est l’année suivante qu’un événement devait venir relancer la performance : la création d’un Grand Prix de 100 000 F (or !) par le magnat du pétrole Henri Deutsch de la Meurthe, prix destiné au pilote du premier aéronef qui, partant du parc d’aérostation de Saint-Cloud, reviendrait s’y poser après avoir contourné la Tour Eiffel, le tout en moins de 30 minutes. Santos-Dumont s’inscrivit aussitôt, bien décidé à remporter le Prix et disposé pour cela à consacrer à ses appareils et à ses vols une part toujours plus grande de son énergie et de sa considérable fortune.
C’est d’abord avec son « n° 5 »qu’eurent lieu les premières tentatives mais sans aboutir au succès, soit que le temps de vol ait été supérieur à la limite fixée, soit que des incidents techniques aient conduit le pilote et sa monture à quelques retours au sol mouvementés, dont un atterrissage sur les arbres du parc de Rothschild (richesse oblige !) et un crash spectaculaire sur l’un des grands hôtels du Trocadéro.
Mais le soir même de cette dernière émotion, Santos-Dumont commandait son« n° 6 », à la puissance mirifique de 20 CV, et qui – heureuse époque ! – fut prêt en 22 jours.
Après quelques nouveaux incidents, dont une autre visite imprévue à Rothschild, c’est avec ce dirigeable, le 19 octobre 1901, que notre brésilien réussira son aller et retour de Saint-Cloud, via la Tour, en 29 minutes et 30 secondes. Malgré quelques contestations de certains membres de la commission de contrôle concernant le temps de vol, Santos-Dumont reçut le Prix et, aussitôt, en homme petit par la taille mais grand par le coeur, s’empressa de le partager intégralement entre son personnel, les pauvres de Paris et les ouvriers ayant engagé leurs outils de travail au Mont-de-Piété.
Il fallut cependant attendre huit années, presque jour pour jour, pour qu’un « plus lourd que l’air » vienne pour la première fois présenter ses hommages à la Tour. Cet honneur devait revenir à un autre homme remarquable par le caractère comme par la fortune : le comte Charles de Lambert. Passionné dès 1893 par le problème du vol humain et pionnier de l’hydroglisseur, le comte avait en outre subventionné de nombreuses expériences. C’est donc tout naturellement qu’il devint en 1908 le premier élève pilote de Wilbur Wright qui venait de s’installer en France avec son célèbre biplan de formule « canard », aéroplane très en avance sur les autres réalisations de l’époque.

Breveté, avec le n° 8, en janvier 1909, Lambert se lance rapidement sur la campagne. Le 18 octobre de la même année, il s’envole de Juvisy avec son biplan et, sans avoir prévenu personne, met le cap sur Paris. Gagnant de la hauteur, il se dirige vers la Tour qu’il survole d’une centaine de mètres, battant du même coup le record d’altitude. De retour à Juvisy après 49 minutes et 39 secondes de vol et un parcours de 48 kilomètres, le comte se pose sous les vivats des spectateurs soulagés qui le croyaient déjà perdu.

Ce vol, stupéfiant d’aisance pour l’époque, déchaîna l’enthousiasme. Pour la première fois, en effet, un aviateur s’affranchissait des altitudes inférieures à l00 mètres et des vols au-dessus des rassurantes plaines de Beauce ou de Champagne pour s’aventurer sur « l’océan de murs et de toits » de l’une des plus grandes capitales du monde. Une telle performance réalisée, qui plus est, par pur esprit sportif et sans l’attrait du moindre prix, représentait une indubitable et définitive consécration de l’aéroplane.

La Tour, « phare » de Lindbergh
Un objet de 300 mètres de haut, dans un pays plat, voilà qui constitue indubitablement un exceptionnel point de repère, un « amer » comme diraient les marins qui ne peuvent jamais appeler les choses comme tout le monde. Les vieux transporteurs, autrefois grands spécialistes des approches à vue, vous diront que pour trouver facilement l’aérodrome du Bourget, il suffit d’aligner la Tour Eiffel et le Sacré-Coeur de Montmartre. Charles Lindbergh, quant à lui, ne semble pas avoir eu connaissance de cette astuce et dut se contenter, lors de son vol historique de mai 1927, d’utiliser la Tour comme un simple phare d’identification. Il est vrai que l’immense publicité Citroën qui, de 1925 à 1936, illumina chaque soir l’édifice de ses milliers d’ampoules multicolores constituait un repère difficile à manquer. Et pourtant, lorsqu’on arrive pour la première fois de New York, en pleine nuit, seul à bord d’un petit monomoteur depuis plus de 30 heures, cela n’est pas forcément évident…
Mais Lindbergh trouva son phare et, malgré la fatigue, ne put résister à l’envie d’en faire le tour, comme il le raconte si joliment dans son livre «Trente-trois heures pour Paris » : « A mesure que les minutes s’écoulent, des myriades de points lumineux émergent, morceau de terre étoilé sous un ciel étoilé : les lumières de Paris. ( … ) Les avenues, les parcs, les édifices commencent à se préciser et là, loin en dessous, un peu à l’écart du centre, voici une colonne de feux dirigée vers le haut et dont la perspective varie pendant que je l’approche : la Tour Eiffel ! Je décris un cercle au-dessus d’elle puis mets le cap au Nord-Est, sur le Bourget. »
Encore fallait-il qu’il le trouve ce terrain du Bourget qui ne figurait pas sur sa carte ! « C’est un grand aérodrome, lui avait-on dit, tu ne peux pas le rater, il est au nord de la ville ! »
Lindbergh eut pourtant du mal à l’identifier. Mais on connaît la suite et l’issue heureuse de l’immense exploit.
Les fantaisistes et les farfelus
Passer de Lindbergh aux fantaisistes c’est vraiment rapprocher les contraires ! Mais c’est le propre des lieux et des monuments célèbres d’attirer les gens sérieux comme les illuminés et les plaisantins. La Tour Eiffel, véritable défi permanent aux imaginatifs, n’échappe pas à la règle et l’on ne compte plus les escalades clandestines, les montées d’animaux divers plus ou moins consentants – on y a même vu un éléphant – les parcours des escaliers à vélo, sur des échasses ou à clochepied et les innombrables plaisanteries de ce genre.
Si ces dernières n’ont généralement pas eu, pour leurs auteurs, de conséquences fâcheuses autres que quelques égratignures ou quelques nuits au« Poste », il n’en a pas été de même pour d’autres personnages qui espéraient s’y faire remarquer par la voie des airs. Un exemple typique est celui du dénommé Reichelt, de son état tailleur à Longjumeau.
Cet homme présumé paisible s’était, vers 1910, pris de passion pour l’aéronautique ce qui, après tout, n’est pas interdit à un tailleur. En outre, chose rare dans sa profession, il se sentait à l’étroit dans son complet-veston ! Ces deux caractéristiques, apparemment sans rapport, le poussèrent à se fabriquer un immense costume de chauve-souris avec lequel il prétendit voler. Le premier essai, du toit de sa maison, s’étant terminé par deux chevilles foulées malgré la paille disposée au sol, il n’en déclara pas moins : «j’ai plané, puisque je ne suis pas mort » et passa à l’étape suivante : le saut depuis le premier étage de la Tour.
Poussé à cet acte insensé par deux aigrefins sans scrupules qui comptaient tirer quelque profit d’une éventuelle réussite, et curieusement autorisé par la Préfecture de police à effectuer cette « expérience scientifique », notre tailleur aérophile mit son projet à exécution et, un beau matin de février 1912, sous l’oeil des caméras, y trouva ce que sans doute il cherchait : une célébrité immédiate …mais posthume!
Un second inventeur parachutiste suivit exactement son exemple … et son sort, en 1928. Mais d’autres, plus raisonnables, se firent prudemment remplacer par des mannequins ou des animaux divers, dont une famille de cochons d’Inde qui arriva, paraît-il, saine et sauve sur le Champ-de-Mars.
C’est hélas, à un pilote militaire de réserve, Léon Collot, que revint le déplorable privilège d’avoir tenté, et raté, le premier passage en avion sous la Tour.
En février 1926, après avoir fait affaire avec une société de cinéma moyennant finances, il décolle d’Orly avec un Bréguet militaire, rase le Trocadéro et s’engage sous la Tour. Mais, à la sortie de l’arche, sans doute aveuglé par le soleil qui se levait derrière l’École militaire, il ne voit pas un câble d’antenne de T.S.F., l’accroche et s’écrase.
Les journaux de l’époque, et particulièrement« les Ailes », n’ont pas manqué de vilipender cet officier indiscipliné pour le risque qu’il avait fait courir à la population et, plus encore, pour l’utilisation d’un matériel militaire à des fins personnelles et lucratives.
En 1944, à la libération de Paris, grâce à une indulgence bien compréhensible vis-à-vis des infractions à la réglementation draconienne du survol de la capitale, on put voir de légers « Piper Cub » faire quelques passages sous la Tour, fantaisie autrement moins difficile, il est vrai, que le même exercice sous l’Arc de Triomphe, réussi néanmoins à ce jour par deux fois !
La Tour et l’aviation militaire
Les militaires, heureusement, n’ont pas fait parler d’eux, en ce lieu, que par des excentricités. Nous n’insisterons pas sur les célèbres expériences de radiotélégraphie du capitaine et futur général Ferrié à partir de la Tour, mise à sa disposition par Eiffel qui lui écrivit en 1903 : « J’offre également de prendre à ma charge tous les frais d’installation qui pourront être nécessaires à vos expériences. Je serais très heureux que mon oeuvre puisse être profitable à la télégraphie militaire et servir la Défense nationale. » Rappelons simplement que c’est l’intérêt militaire ainsi pris par la Tour qui lui permit de n’être pas démontée et ferraillée en 1909, à l’expiration de la concession de vingt ans accordée à Eiffel par la ville de Paris.
Mentionnons aussi pour mémoire l’utilisation, dès 1891, des plates-formes de l’édifice pour lâcher quelques escadrilles de nos collègues les pigeons voyageurs, mesurer leurs altitudes de vol et déterminer ainsi leur vulnérabilité aux projectiles ennemis !
Mais la Tour constituait également un idéal « point haut » pour la défense de Paris et, en 1918, on trouvait sur la 3e plate-forme quatre mitrailleuses (modèle 1907) du 64e Régiment d’Artillerie anti-aérienne, destinées à « la défense de la Tour Eiffel contre les avions l’attaquant à distance rapprochée ».
Il fallut cependant attendre 1945 pour que la Tour soit littéralement investie, entre ses pattes, par une Armée de l’Air : celle des États-Unis. L’U .S. Air Force, en effet, après avoir envisagé d’y suspendre quelques avions par des câbles – idée bien américaine – exposa finalement au sol, en août et septembre, ses 18 principaux types de chasseurs, bombardiers, avions de transport et planeurs de débarquement utilisés pendant la Seconde Guerre mondiale. Le succès de cette exposition fut considérable et l’auteur de ces lignes se souvient du choc, sans doute à l’origine de sa vocation, qu’il ressentit à la vue du fameux« Mustang », peut-être le plus beau chasseur à hélice jamais construit, et de l’impressionnante « Black Widow », énorme chasseur de nuit dans sa sinistre robe noire.


Quant à l’Armée de l’Air française, outre sa visite annuelle pour le défilé aérien du 14 juillet, elle fait côtoyer quotidiennement la Tour à ses hélicoptères du G.L.A.M. qui, de jour comme de nuit, viennent prendre ou déposer dans la cour de l’École militaire nos autorités nationales et leurs hôtes de marque.

Ce survol rapide, et sans doute incomplet, des liens entre la tour Eiffel et l’aéronautique ne visait qu’à rappeler à quel point le célèbre monument, symbole de Paris et de la France, a été mêlé à de multiples aspects de la vie de notre pays pendant son premier siècle d’existence.
Mais sans doute notre « cathédrale des courants d’air » aura-t-elle à l’avenir d’autres occasions de s’acoquiner avec les aviateurs. Certes, la pratique actuelle de l’aviation militaire ou civile, de plus en plus sérieuse et réglementée, ne permet plus les exploits ou les fantaisies que pouvaient accomplir les pionniers des temps héroïques.
Mais il serait dommage que quelque manifestation ou commémoration, quelque vol spectaculaire et dûment autorisé ne vienne pas de temps en temps permettre aux gens de l’air de rappeler l’admiration qu’ils portent à Gustave Eiffel et de témoigner leur affection à leur belle cousine de la troisième dimension.
Michel Ceillier – 1989