Centenaire de la mort d’Eugène Milon, collaborateur d’Eiffel

Le 14 octobre dernier, la Société des Compagnons Charpentiers des Devoirs du Tour de France fêtait  au cimetière de Meudon le centenaire d’un de ses membres les plus illustres: Eugêne Milon, chef de chantier de la Tour Eiffel.

Cérémonie du centenaire de la mort d'Eugène Milon
Cérémonie du centenaire de la mort d’Eugène Milon

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L’ADGE était représenté par son trésorier Savin Yeatman-Eiffel, qui rappela dans un bref discours l’importance des ouvriers sur les chantiers d’Eiffel, à une époque où la majeure partie du travail restait faite à force d’homme, avec le soutien ponctuel de grues à vapeur, ainsi que le respect profond et mutuel existant entre le grand ingénieur et l’ensemble de ses collaborateurs, et tout particulièrement Messieurs Nouguier, Kœchlin, Salles, Compagnon et Milon.

 

Eugène Milon
Eugène Milon

Voici ci-dessous le texte du discours prononcé par Claude Chevalier, Vice-président des Compagnons Charpentiers Des Devoirs. Il retrace notamment en détail le parcours professionnel d’Eugène Milon, et cite un long et très intéressant extrait de l’oraison funèbre prononcée par Gustave Eiffel lors des obsèques d’Eugène Milon.

De gauche à droite: Louis Lemenu, responsable du musée de la Fédération Compagnonnique;
Armand Dubois, rouleur des C. Charpentiers. Des Devoirs;
Madame Daniel, Mère des Compagnons Charpentiers des Devoirs de Paris;
Savin Yeatman-Eiffel, Trésorier de l’Association des Descendants de Gustave Eiffel;
Claude Chevalier, Vice-Président des Compagnons charpentiers Des Devoirs;
Bernard Hodac, PDG de la Société OSMOS qui surveille la stabilité de la Tour Eiffel

« Notre Mère, M YEATMAN-EIFFEL, M. HODAC et vous tous chers Compagnons, nous sommes rassemblés autour de cette tombe  d’Eugène MILON Guépin le Soutien de Salomon pour lui témoigner notre reconnaissance, à l’occasion du centenaire de son décès.

Ce Compagnon Charpentier du Devoir de Liberté incarnait à lui seul les valeurs fondamentales du compagnonnage qui sont espérance en un avenir meilleur mais aussi reconnaissance envers tous ceux qui nous ont précédés et sans qui nous ne serions pas là.

En effet, malgré toutes ses responsabilités, jusqu’à la fin, il a su rester fidèle à ses jeunes engagements envers sa société compagnonnique, à servir la cause du Tour de France et de la charpente en bois. Mais son besoin d’accroître sans cesse ses connaissances techniques, son goût de la nouveauté, vont le conduire dans des domaines éloignés de celui où il avait acquis ces premières compétences. Il pensait que la charpente en fer ne devait pas concurrencer la charpente en bois mais quelle avait sa spécificité et que les charpentiers, pour étendre leur champ d’activité, devaient aussi s’y intéresser. Les techniques de levage, ne sont-elles pas similaires ?

Eugène MILON est né le 23 septembre 1859 à Loury, dans un village du Gâtinais en dessous d’Orléans dans une famille de cordonnier. Au sortir de l’école communale à 14 ans, le jeune Milon gouta au métier de son père puis fût apprenti maçon. Mais ses Goûts l’appelaient ailleurs, il se fit embaucher chez le charpentier du Pays, Jules MATHIEU. Là, il fera la rencontre d’un autre apprenti, Julien JAHIER et c’est ensemble qu’ils partiront faire leur Tour de France. Tous deux furent reçus compagnons charpentiers du Devoir de Liberté à Nantes pour la Saint Pierre 1877. Julien JAHIER fut Guépin La Fidélité et Eugène MILON, Guépin le soutien de Salomon.

Les deux amis et frères en compagnonnage descendront ensemble à Bordeaux en septembre 1877. Après son service militaire de 4 ans, julien jAHIER redescendra dans son pays pour se mettre à son compte et se spécialisera entre autre dans la construction des Moulins. L’entreprise perdure toujours et aujourd’hui, son arrière, arrière petit fils Richard, également Compagnon Charpentier, est parmi-nous et nous l’en remercions.

Quant à Eugène MILON, il rejoindra la Cayenne de Toulouse puis reviendra sur Bordeaux et sera recruté par un grand constructeur, à l’état de service impressionnant, charpentier de son état, Jean COMPAGNON de vingt et un an son aîné. Il le fera embaucher avec lui pour le seconder dans les établissements EIFFEL.

Les trois hommes s’apprécieront beaucoup, chacun dans leur rôle. Il suffit pour cela de citer cet extrait de l’oraison funèbre prononcée par Gustave EIFFEL lors des obsèques d’Eugène MILON.

« Je tiens à rappeler les rares qualités, je dirai même les vertus de l’homme à qui nous venons de rendre les derniers devoirs et dont nous déplorons la perte.

Je le dois d’autant plus, qu’il a été le collaborateur fidèle de mes travaux pendant près de quarante ans; que pendant cette longue période ­où il parcourut tous les échelons, depuis l’emploi de chef charpentier jusqu’à celui de chef de chantier de montage, et dans ces dernières années, jusqu’aux fonctions directoriales de l’exploitation de la Tour Eiffel.

Pendant ces années de collaboration où j’appris à le connaître de mieux en mieux, je n’ai jamais eu l’ombre d’un reproche à lui faire. Il ne s’est jamais élevé le moindre nuage entre nous, et je n’ai eu, en toute occasion, que des éloges à lui adresser pour la façon dévouée et supérieurement intelligente dont il accomplissait le travail dont il était chargé.

Je ne rappellerai, parmi ces grands travaux que le Viaduc de Garabit, dont tous vous avez sans doute entendu parler, ainsi que le montage de la Tour Eiffel, qui furent exécutés par Milon, sous la direction d’un autre de mes collaborateurs Jean Compagnon, dont je dois rappeler le nom à côté du sien, parce qu’ils furent toujours unis jusqu’à l’achèvement de la Tour.

Milon fit, dans la conduite de ces chantiers, preuve des rares qualités qu’il possédait pour le commandement des hommes, pour sa prévision des détails des manœuvres parfois dangereuses et toujours difficiles auxquelles il présidait dans les conditions les plus périlleuses, toujours au-dessus d’un vide effrayant.

Et enfin par sa prudence sans cesse en éveil, grâce à laquelle, pendant le montage de la Tour notamment, il ne se produisit aucun accident ayant entraîné mort d’homme. Cela est l’œuvre particulière de ce Chef de Chantier incomparable, pour laquelle il ne peut y avoir trop d’éloges. » fin de la citation.

Avant son service militaire, il travaillera comme chef charpentier aux viaducs de Garabit dans le cantal (où il se fera remarquer)  avec le levage d’arcs de 165m de portée à 124m au dessus du vide ainsi qu’au viaduc de saint André de Cubzac en gironde.

A son retour du service militaire au 27ième régiment d’infanterie de Dijon de 1880 à 1884, il réintègrera l’entreprise Eiffel.

De 1884 à 1886, il aura la responsabilité comme chef monteur des chantiers suivants pour ne citer que les principaux:

– Viaduc de la Tardes en Creuse
– Pont de la ligne de Questembert à Ploërmel dans le Morbihan
– Pont de Moranne sur la Sarthe en Maine et Loire
– Pont de la ligne de Caen à Aunay dans le Calvados
– Pont de la ligne de Vire à St Lô dans la Manche.
– Ponts et passerelles de la gare d’Evreux.

En 1887 comme chef de chantier il aura la direction du Viaduc de Collonges dans la Saône et du pont de Montélimar dans le Rhône avant de prendre la responsabilité du levage de la Tour Eiffel. Le chantier qui changera totalement sa vie et qui fera qu’à ses compétences de charpentier, de grand levageur, de meneur d’hommes, il a ajouté des connaissances de mécanique, d’hydraulique, d’électricité et participera même aux travaux  d’aérodynamique avec Gustave EIFFEL.

C’est la rencontre de deux audacieux. Il fallait beaucoup d’audace à Gustave EIFFEL pour confier la direction d’un tel chantier à un jeune homme de vingt sept ans, mais l’ingénieur était sûr de l’homme et avait pu apprécier ses mérites au travers des différents chantiers. Mais il n’y avait pas moins d’audace dans l’acceptation d’Eugène MILON pour assumer une telle responsabilité sous les ordres de Jean COMPAGNON promu ingénieur. Sa première tache consista à recruter le personnel dont il avait besoin pour conduire à bien sa mission. La sécurité sera sa priorité. Un historien de la Tour écrira « Le plancher monte avec l’homme, le défend contre le vertige et lui assure la plénitude de ses facultés et la sécurité des mouvements ».

De chef de chantier, il s’est élevé peu à peu, progressivement, par un travail personnel considérable, aux connaissances générales d’un ingénieur mécanicien selon les dires de son employeur.

A la fin du levage de la Tour de 300m, Gustave EIFFEL le nommera chef de service de la Tour, puis deux ans plus tard en 1891, directeur d’exploitation de la Tour. Il le restera jusqu’à sa mort prématurée le 20 septembre 1917 alors qu’il allait avoir cinquante huit ans.

Cette activité l’accaparera à plein temps, avec une entorse en 1911, pour diriger le Théâtre des Champs Elysées, Avenue Montaigne, où il se montra à la fois architecte, constructeur et ingénieur toujours selon l’expression de Gustave EIFFEL.

En parallèle à cette vie professionnelle, lors de son séjour dans l’ouest, il fit la connaissance de son épouse Eugénie POULIGUEN à Roc St André  qu’il épousera le 27  août 1887. Ils eurent 2 filles.

En somme l’on peut dire qu’en 1887, il épousa à la fois sa femme et la Tour Eiffel.

Guépin le Soutien de Salomon a été aussi professeur de charpente à Bordeaux et Toulouse, officier d’académie en 1889 et chevalier de la légion d’honneur en 1900. Il était également membre de la société des ingénieurs civils.

Alors, aujourd’hui par ce modeste hommage, nous mettons à l’honneur un Compagnon qui avait su développer les qualités supérieures par lesquelles un homme s’élève au dessus des hommes ordinaires. Mais nous voulons aussi y associer tous ces oeuvriers de l’ombre avec leurs mains industrieuses qui transforment dans l’indifférence totale le savoir en savoir faire ; l’idée, les théories, les plans en réalité. En somme, ils sont cette courroie de transmission indispensable entre l’abstrait et le concret.

Je voudrais aussi sur un autre plan remercier les deux promoteurs et chevilles ouvrières de cette commémoration que sont Louis LEMENU et Jean François MALTHETE. Merci aussi à notre Mère DANIEL et aux Compagnons d’autres Cayennes et Sociétés qui se sont joints à nous.

Et une reconnaissance particulière à M Savin YEATMAN-EIFFEL, arrière, arrière, arrière petit fils de l’illustre ingénieur  qui a construit avec tous ces collaborateurs, à l’époque, la plus haute tour du monde et à M Bernard HODAC PDG de la Société OSMOS qui en surveille sa stabilité, d’avoir bien voulu nous faire l’honneur de leurs présences parmi-nous aujourd’hui. Par leur sympathie et bienveillance, ils honorent tout le compagnonnage.

Cent ans après qu’Eugène MILON nous ait quittés, nous nous souvenons encore de son œuvre, nous gardons le souvenir de ce que fut son existence et le remercions pour l’exemple qu’il nous a donné. Souvenons-nous de lui et de ceux de sa trempe car en toute simplicité, ils furent grands.

Il a démontré que modernisme et tradition ne s’opposent pas mais sont au contraire complémentaires. Pour conclure, je dirai en empruntant à  Ernest RENAN  que  « Les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un profond respect du passé ».

Guépin Le Soutien De Salomon était de ceux là. »

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